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CHRYSOPRASE

Aurélie Barnier

Livret d'exposition Éclats #1: Constellation provisoire, 2020, Le creux de l'enfer, Thiers,

Qui est cet objet? Pourquoi est-il ici, comment est-il utilisé, quelle est son histoire, dans quelle époque évolue-t-il? Après un DNAP à l’École supérieure d’art des Pyrénées, Amélie Sounalet cofonde l’association somme toute en 2018 et obtient son DNSEP à l’École supérieure d’art de Clermont Métropole en 2019. Depuis, elle a participé à l’exposition des diplômé.e.s, Octopus, à Première au CAC Meymac et en janvier 2020 à 9HACKS au sein d’In extenso à Clermont-Ferrand.


Le travail d’Amélie Sounalet débute par une découverte sensible des lieux qu’elle traverse puis se nourrit d’une approche historique. Se demandant qui en sont les usagers et quel est leur usage, elle y analyse formes, matériaux et objets, en quête de présences et de comportements insensés. Elle joue ensuite avec l’ensemble des informations accumulées pour proposer des relectures de ces espaces, chacune se greffant au contexte d’exposition. Ici, celui du bord de la Durolle où œuvraient les émouleurs avec leurs épouses jusqu’à six mois de grossesse, et d’un étage de l’Usine du May aujourd’hui salle de réunion évoquant l’entreprise moderne. Y a germé l’idée d’une sculpture de plexiglas adaptant les courbes d’une planche d’émouleur à celles d’une femme enceinte. Intitulée Chrysoprase, pierre “idéale pour faciliter un accouchement en douceur” et littéralement “poireau d’or”, elle renvoie ironiquement aux vertus positives de l’outil de travail aliénant comme au phallocrate prétentieux qu’est forcément son promoteur! Anachronique, mais fonctionnelle, comme en atteste une vidéo de démonstration pré-commerciale, cette pièce relève de l’humour noir, de l’engagement politique aussi, par une dénonciation de l’outrage fait au corps dans le monde du travail et en particulier à celui des femmes. Sa réalisation industrielle ainsi que les mouvements mécaniques et déshumanisés ou la nudité du personnage de la vidéo, contribuent à la sensation d’effroi.

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TAKE CARE

Camille Chenais

Exposition Première, Cac Meymac 2019

En 2019, grâce à un partenariat entre l’ESACM (École supérieure d’art de Clermont métropole) et Michelin, Amélie Sounalet part en Inde pour effectuer une résidence dans une usine de l’entreprise nouvellement implantée à Chennai, non sans contestation locale et internationale. Pour l’ériger, 400 hectares de forêts et trois lacs ont été rayés de la carte, bouleversant l’équilibre de la faune et flore.
À son arrivée, l’artiste remarque la présence, presque surréaliste, de nids d’abeilles accrochés à la façade de l’usine. Dans Congratulations to the bees !, elle se réapproprie un panneau d’affichage qui sert à féliciter les meilleur·e·s employé·e·s du mois, en remplaçant les humains par des abeilles, révélant le côté glaçant du langage managérial. Dans la série photographique 5 S, l’artiste s’attarde sur des détails a priori anodins de l’environnement des employé·e·s indien·ne·s de Michelin. Sur et sous les bureaux aseptisés de l’entreprise, des morceaux de scotch jaunes et noirs délimitent la place de chaque objet définie d’après la Méthodologie des 5S inventée par l’entreprise Toyota pour rentabiliser et optimiser le temps en simplifiant les gestes répétitifs.

C’est ainsi, avec ironie, que l’artiste pointe du doigt le fonctionnement glacial des lieux où nous travaillons. Le diable se cache dans les détails.
Le regard d’Amélie Soulanet sur ce qui l’entoure est précis, aiguisée et semble souvent s’attarder sur les coins, les recoins et les choses que nous ignorons. Toutes ses œuvres sont ainsi empreintes des lieux où elles sont créées ou exposées. Au CAC Meymac, l’artiste a visité les lieux, rencontré l’équipe, analysé le contexte d’exposition et son histoire pour proposer une installation à activer (état d’objet, 2019) autour d’objets normalement invisibles pour les visiteur·euse·s. Ce sont des objets qui servent aux montages d’exposition (serre-joint, pistolet à colle, ponceuse, …) ou à la présentation des œuvres (vidéoprojecteur, lecteur MP3, …) avec lesquels les visiteur·euse·s doivent se familiariser en remplissant une fiche administrative à leurs propos. À travers l’attention donnée à ces objets, l’artiste rappelle que le centre d’art est un espace de travail comme les autres, avec ses contraintes, ses dispositifs, ses instruments de travail et ses règles.

Le travail d’Amélie Sounalet déborde d’objets, capables de prendre la parole ou d’agir dessinant en creux les conditions de travail des êtres humains. Dans La spi, un aspirateur-robot se déclenche une heure par jour, pour nettoyer l’espace où il est exposé. Dans la performance Take Care, l’artiste nettoie avec un chiffon microfibre les Azulejos de bâtiments abandonnés, à Porto. Prendre soin, donner de l’attention, manifester de la sollicitude… Take care. En mettant en lumière les tâches méprisées, dévalorisées, elle interroge la frontière entre œuvre et activité domestique et l’invisibilité des personnes qui les prennent en charge. « (...) après la révolution, qui va ramasser les ordures lundi matin ? »[1]



[Mierle Laderman Ukeles en 1969.]

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